Rrrrrose Azerty : loyalty freak

Ça fait quelques années que je croise le blaze de Rrrrrose Azerty en cherchant de la musique libre et à l’occasion de son retour en concert à Lyon au Kraspek vendredi 20 décembre, j’avais envie de creuser le sujet et je lui ai posé quelques questions plus ou moins pertinentes…

montage photo noir et blanc avec la tête de Rose sur le buste de Karl Marx et vice-versa
Rrrrose Marx / Karl Azerty

VM : Peux-tu te présenter en quelques mots et nous parler de ton parcours ?

RA : Moi c’est Rose, j’officie dans la composition sonore depuis 2011, d’abord sous le pseudo Alpha Hydrae puis ensuite sous une 15aine d’alias différents. J’écris des articles sur la musique, l’industrie et la musique libre, sur mon blog et sur des webzines. J’aimerai trouver le temps pour écrire plus sur la philo de la musique. Je construis parfois des petits jeux vidéos sur ma page itch, et j’anime des ateliers de jeux musicaux de temps en temps où on crée des espaces sonores cringe pour se désaliéner toujours un peu plus des blocages qu’on peut avoir avec la créativité en général. Et parfois je fais des concerts quand on m’y invite.
Pour mon parcours, c’est simple, j’ai abandonné les études une fois que j’ai échoué d’avoir mon bac, j’ai passé le reste du temps à jouer de la guitare en fumant des pétards et j’ai commencé à enregistrer de la musique à ce moment là. J’ai démarré la musique en improvisant, et j’ai appris les bases du solfège en reprenant des chansons à la guitare, en lisant des tablatures et en composant directement sur ordinateur. J’ai appris les premiers accords de la guitare avec des proches et ensuite c’est l’improvisation avec des amix, mes propres expériences et internet qui m’ont appris tout ce que je sais.

C’est quoi les licences libres, et pourquoi ce choix pour ta musique ?
Les licences libres, ça donne des droits supplémentaires aux utilisateurices de choses sous licences libres comparé à une licence de droit d’auteurice dure. Une musique sous droit d’auteurice dur ne pourra être qu’écoutée et cela dans un cadre précis d’écoute privée. Les licences libres permettent d’assouplir la dureté de ces droits comme en permettant une diffusion publique de l’écoute, une utilisation commerciale de cette diffusion, un remix potentiel en ajoutant la musique à de la vidéo/du jeu/du théâtre ou en tant que nouvelle musique…
J’ai fait le choix de tout mettre dans le domaine public parce que, d’une part, je trouve que la propriété privée, c’est de la merde, et j’ai fini par comprendre que libérer ma musique me donnait aussi accès à des sites internet où les gens vont actuellement chercher d’elleux-mêmes de la musique pour la remixer. Notamment Free Music Archive, où les gens vont pour trouver de la musique pour illustrer leurs films étudiants, leurs jeux vidéo de game jam, leurs p0rnos, leurs activités créatives en règle générale. Ça me permettait du coup de ne plus spammer mon entourage proche de ma productivité pour qu’iels écoutent, iels fassent tourner autour d’elleux, chose que je n’aime pas trop ni faire ni recevoir en règle générale (on fait toujours tourner les copaines, mais quand ça tourne au spam parce qu’il y a du désir de consécration capitaliste derrière, c’est usant). Pour faire vite, les licences libres permettent une meilleure diffusion de son travail et c’est en partie pour ça que j’ai fait ce choix.
Enfin je persiste dans la licence libre parce que je vois tous les jours des nouvelles choses utilisant ma musique, parfois des trucs que j’ai produit que je trouvais nul à chier, hé bah ça inspire des gens à faire leurs trucs, et ça me fait dire que j’ai pas du tout la vérité sur la qualité intrinsèque des choses que je fais. Ça me permet de moins me déprécier en tant que personne créative et de me dire que de toute manière, rien n’a de valeur par essence.
Et j’ai choisi la Creative Commons 0 Domaine Public parce qu’il y a pas grand chose dans le Domaine Public Vivant en tant que musique, alors j’ai décidé d’y élever tout ce que je fais.

Une femme pose avec son dindon sur une photo en noir et blanc
Une photo du domaine public.

Le truc le plus dingue et le truc le plus chiant qui t’es arrivé avec ce choix des licences libres ?

Le truc le plus chiant, c’est le truc récurrent dont je parle parfois sur les réseaux sociaux et sur mon blog, l’abus de l’usage de Content ID par des personnes qui l’appliquent sur mes musiques. Ça envoie des infractions au copyright à des personnes qui sont en droit d’utiliser ma musique (à moi aussi par extension), et ça permet aux abuseurs de piquer l’argent de la monétisation des utilisateurices de ma musique, et de donner l’impression aux utilisateurices de ma musique de s’être fait avoir à utiliser mes musiques libres de droit. Ça arrive souvent et c’est long et pénible à défaire.
Le truc le plus dingue, je pense que c’est via la communauté du streamer Sean Morl. Le streamer utilise ma musique « Youpi Puppy Cross » comme une musique de victoire pour son stream, et il a lancé un festival de reprises du morceau pour célébrer la créativité de sa communauté. C’est devenu un album de 17 morceaux reprenant Youpi Puppy Cross, j’ai été invitée en live pour la première écoute de l’album, j’ai beaucoup pleuré, c’était très émouvant

Tu as des milliers de titres ! ça fait un peu peur, as-tu un conseil pour démarrer, une sélecta de titres, un beginner’s guide, des recos en fonction des goûts ou une playlist aléatoire ?
Euuuuh, je dirais que ça vaut le coup d’essayer d’écouter les Best Of que je fais parfois. C’est une curation de ce que je pense être le meilleur de mon travail mais je peux me tromper sur la teneur en coolitude de certains morceaux. En tout cas, ça permet d’avoir une petite vue de ce qu’est chaque alias et ensuite peut permettre de donner envie de digger plus précisément. Tu me fais penser qu’il faudrait que j’en fasse un nouveau d’ailleurs, le dernier best-of a 3 ans.

Tes influences / Tes camarades ?
Mes influences, ça bouge, mais c’est les copaines proches et éloignaes. Avant pour la musique, j’aurai dit que ce qui me motivait le plus à créer, c’était Melt Banana, Ada Rook, Natural Snow Buildings. Maintenant c’est nettement plus la camaraderie.

La vraie musique c’est les camarades qu’on se fait sur le chemin.

Mes camarades qui m’influencent et motivent, je dirai lae Pang Pang Club, la communauté de lae streameureuse HBKGO avec qui on écoute de la musique en ligne, les copines de Game Dolls Advance, les camarades du Fluidspace [Hackerspace transféministe à Marseille NDLR], jsais pas, les amix, les amours, les personnes qui font le quotidien joli, tmtc.

Tu baignes aussi dans l’univers jeu-vidéo, ta musique s’en inspire, tu collabores à des jeux et tu as même créé des jeux ! tu peux nous parler de ton rapport au jeu vidéo et de tes jeux préférés ?
Beeeeh, j’ai beaucoup joué à des jeux vidéos quand j’étais mome, notamment sur Playstation 1 et 2, ensuite j’ai fait une grosse pause, et là je joue de manière assez chaotique, par grosses sessions, avec des longues périodes de pause aussi. Mes jeux prefs, je dirai Mother 3, Minecraft, Stardew Valley, le Freecell, les JRPG comme Dragon Quest XI ou FFX-2, Baise Lesbienne, Even The Ocean, Vandal Heart, 10 second mixtape. Les jeux de bagarre comme Smash Bros où je suis pas très forte et j’ai tout perdu de ma gloire d’antan, ou les jeux de scoring comme Tony Hawk Pro Skater, où j’ai rien perdu du tout par contre, hehe…

Peux-tu nous parler du Pang Pang Club ?
Lae Pang Pang Club, c’est une collective de personnes créatives qui propose plusieurs fois dans l’année des game jams avec une dimension inclusive du temps et du travail créatif. Les game jams sont sur des longues durées, ouvertes à toustes les formes créatives. Iel en sort beaucoup de petits jeux/zines faits avec amour. C’est unxe club qui va doucement et c’est ce que j’y aime.

Tu as inventé la macronwave, keskessé?
La Macronwave, c’est né de l’investiture de Macron en tant que président de la république française quand il a parlé du fait de faire de la France une Start Up Nation. C’est un titre de genre pied de nez à la Trumpwave qui est un mouvement musical de propagande fasciste pro-Trump qui utilise l’esthétique synthwave pour diffuser ses discours. Ma pratique de la Macronwave se veut être le contraire et il fallait pour moi faire quelque chose dont la nature même n’est pas un renforcement des propos de Macron eu du néolibéralisme. Facile à dire. Mais en gros, je me demandais qu’est-ce qui soniquement représentait le mieux la Start-Up Nation et comment le détourner. J’ai trouvé ma réponse dans la « musique utilitaire », c’est à dire la musique fabriquée exprès pour être utilisée à des fins de remix. Dans ces musiques utilitaires, on y retrouve des métagenres (des genres rassemblant des genres) comme la musique cinématique (toutes les musiques épiques, ambiant contemplative), la musique uplifting (toutes les instrumentales de Ukulele, les musiques folk en majeur avec des gens qui sifflotent, le rock entrainant) mais aussi et surtout la musique dite Corporate, qui englobe toutes les instrumentales qui sonnent comme U2 – c’est à dire les guitares avec du délai à la Edge – mais aussi de l’électro froide.
Je me suis dit que ces musiques, en dehors de leurs usages en tant que musique de fond de Powerpoint ou de vidéos explicatives, n’avaient pas d’autres vies. Elles ne sont pas écoutées en qualité de ce qu’elles sont, des ensembles d’assets sonores qu’on ne cherche même pas à considérer comme matière musicale. Je me suis donc mis au travail d’utiliser ces musiques corporate comme élément de base de ma pratique du remix de musique, en les découpant, en les triturant, en faisant de la musique avec de la musique. Le truc, c’est du coup de chercher des sites comme Shutterstock, Pond5, et de prendre des musiques là-bas. Ce qui est drôle avec ces sites de musique Royalty Free, c’est qu’un achat de licence permet de remixer comme on veut les morceaux SAUF d’en faire de la nouvelle musique avec. C’est un peu rigolo, quand même.
Donc voilà, la Macronwave, c’est le remix de ce qui sonne comme le sonore de la Start-Up Nation pour lui redonner une nouvelle vie sonique.

Tes spots prefs de Marseille ?
J’sais pas, les barres de traction du parc Pouget ? La Salle Gueule ?

Chien ou Chat ?
Pigeon 4 Ever <3

Ton best-of / worst-of 2024, sachant que l’année est pas finie
Pour l’instant, je vais qualifier ça de best of parce que c’est mon plus gros ver d’oreille de 2024, c’est Gros Truck de P’tit Belliveau

Worst-of, y a rien. Ptete ptite déception sur le dernier Underworld mais en vrai ça reste le feu, j’suis qui pour juger.

Ville Morte s’est créé un peu dans le rejet des facebook events pour proposer des alternatives, tu as l’air pas mal investi·e dans les alternatives mais présent·e aussi sur les canaux plus mainstream, comment tu gères tout ça ? ton internet idéal et tes spots de l’internet préf ?
J’ai un rapport un peu nul avec les réseaux sociaux, je zone sur beaucoup beaucoup, notamment sur Instagram parce que j’aime bien papoter avec les copaines dessus, mais sinon je suis plusse sur Mastodon et Bluesky. En vrai, je garde mes comptes Twitter et Instagram surtout pour le taff de commissions de musique, Twitter y’a encore pas mal de développeureuses de jeu qui me contactent dessus, et Insta c’est plusse pour les producteurices de films pr0n. Mais je gère pas trop, je vais au feeling bon gré mal gré.
Mon internet idéal, c’est une image figée de ce qui me faisait joie dans le passé, ça serait plus de petits ilots communautaires. J’aimais beaucoup Skyblog pour ça, j’aimais aussi beaucoup les forumactifs pour ça, et j’aimais énormément le Free Music Archive période direction de Cheyenne et Rosso car il y avait tout l’aspect blog et nouveauté éditoriale régulière qui incitait à participer et s’investir. J’pense que l’internet idéal existe toujours, c’est juste qu’on a fait migrer des pratiques vers du tout plus facile sur les réseaux sociaux. Alors que les forums existent toujours, les pages fixes des copaines existent toujours…
Mes spots préférés, c’est le fil de mon instance Mastodon, mon feed Itch, mon feed Bandcamp, passer voir les sites internet des copaines qui ne l’actualisent que deux fois par an comme l’Intempestive ou les pages Neocities de Melos Han Tani/Marina Kittaka. Là, il y a la plateforme d’upload de musique Mirlo qui me fait de l’oeil et que j’aimerai installer un peu plusse dans mon quotidien des visites internet.

Ton conseil praxis pour 2025 / bonne résolution collective ?
+ de piratage en 2025. Abandon de Spotify, pression sur Songtradr pour arrêter d’être des merdes casseuses de syndicat chez Bandcamp. Moins de dépréciation individuelle, on fait du mieux qu’on peut dans un système qui nous incite à tout faire vite et mal. Taper plus fort les fascistes.

Rrrrrose Azerty sera en concert au Kraspek le 20/12/24

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.