Martin Luminet
23 novembre à 20:00
22€ à 24€« Ça fait quoi d’être un garçon à qui on demande d’être bien sage ? / Sage comme un orage, sage comme un naufrage / Mais qui sera sage comme un carnage (…) T’as mis 30 ans à faire tomber l’armure / T’as fait le plus long, il te reste le plus dur… ».
Paroles batailleuses, paroles dirigées, paroles libérées. Celles de Garçon, morceau charnière, presque de délivrance. Essentiel dans la trajectoire de Martin Luminet, marquant son ancrage au sein d’un salvateur processus de déconstruction. Ainsi s’enclenche son échappée qui épouse des contours ordonnés par l’urgence. Une brèche s’est ouverte avec cette chanson écrite-là : elle souligne l’émergence d’un autre horizon et éclaire une nouvelle grille de lecture, une connexion intérieure où tout semble être possible, à commencer par la définition d’un champ d’expression libre inhérent à un souci de vérité. Martin Luminet ne sera pas ce garçon qui suivra les injonctions familiales, il ne sera pas non plus ce garçon qui s’acharnera à poursuivre ses études de sciences politiques. Ne pas compter sur lui pour subir la traversée de son existence.
À l’écoute des cinq titres de son EP Monstre, sorti à la fin du printemps 2021, la sensation d’un saut en chute libre, de secousses viscérales, de failles assumées, de mots braconnés à l’état brut. Regard à la fois clinique, empathique, implacable à l’égard de lui-même. Une lucidité couperet doublée d’un bel équilibre entre spoken word fiévreux à froid, production généreuse à la fois souple et sous tension et refrains épiques. Sensible, sans un gramme de sensiblerie et d’apitoiement, traversé par l’impudeur consolatrice de Barbara, la colère saine d’Odezenne, la conscience tranchante du rappeur Youssoupha.
Savoir que sa détermination à en découdre a été décuplée à la suite de sa participation remarquée aux Chantiers des Francofolies de La Rochelle. La continuité sans l’excès de confort. C’est la dynamique que Martin Luminet a impulsée pour aborder cet album, principalement écrit dans une maison au milieu de la forêt auvergnate. Là-bas, ce cinéphile aigu et curieux (au point de concevoir le storyboard et réaliser lui-même ses clips) emmène dans ses bagages ses films de chevet comme Frances Ha, les deux long-métrages de Raymond Depardon ainsi que Before Sunrise / Before Sunset / Before Midnight, trilogie de Richard Linklater autour de la naissance, l’ascension et l’effondrement d’un amour. Parce que ses velléités initiales de se concentrer essentiellement sur l’intimité collective ont été vampirisées par les tourments d’une séparation.Ne pas compter sur lui pour subir la traversée de son existence.
Martin Luminet ne choisit pas, il doit aller à nouveau là où l’urgence le mène. Peut-être avait-il déjà senti les prémices du danger au moment de Revenir, chanson née avant la séparation et dans laquelle être éperdument amoureux ne se conjugue pas avec le bonheur. Oser l’affrontement direct, ne pas baisser la tête. Constater l’inévitable, l’irréversible et se résoudre à rendre les armes (Etouffer, balade piano-voix atmosphérique). Se redresser, comme avec le titre Deuil, malgré les bourrasques et le gouffre à ses pieds. Ici, le deuil amoureux fait écho à un deuil familial, en l’occurrence la perte de son grand-père avec lequel il était fusionnel. L’absence. Le vide en dedans. La dissection mais toujours pas d’épanchement ni le goût des larmes. Plutôt une section rythmique basse-batterie gonflée à bloc, galopante, haletante. Martin Luminet met les programmations synthétiques à bonne distance et donne à l’ensemble une patine organique. Ainsi, cet album co-réalisé avec Ben Geffen – propulsive allié de studio et scénique – est moins métronome et davantage hanté par l’idée de faire une musique plus corporelle, plus chantée, plus intemporelle. Il y a souvent des adresses dans les chansons. Adresse à son futur et aux doutes de la création (Quelqu’un), au refus de s’enfermer dans un schéma et s’assagir pour le désir des autres (Piège). Adresse sous couvert de tendresse diffuse à sa filleule (Chemin). Adresse à son propre chagrin et à ses disparus (Beaudemont). Adresse à ne pas se laisser happer par la morosité ambiante (Silence). Il y a enfin des instants de sursauts sociétaux : ce Monde responsable de son propre infarctus auquel il répond par un refrain fédérateur d’espoir.
Ou cette Epoque, empoisonnée aussi bien par l’odeur de la haine que par le règne d’une télé populiste, et qu’il dégommerait volontiers.
« Je » est un autre, paraît-il.
Il est surtout un « nous » chez Martin Luminet.